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Chartreuse Backyard ULTRA

chi va piano va sano e va lontano

Récit du week-end à Saint-Laurent-du-Pont lors de cet événement complètement fou qu'est la Chartreuse Backyard. Récit qui va cette fois beaucoup se concentrer sur mes pensées, mon ressenti et mon état de forme au fur et à mesure du temps, le concept de la course ne permettant pas un récit comme les autres sur des courses normales où il y a un début et une fin.

classement : 9/186 - 27 heures de course.


Avant la course

Ça commence à tête d'or lors d'une sortie classique, j'avais envoyé un message à Wilfried, un vieil ami que j'ai connu pendant mes études pour lui proposer d'aller courir à Marcy-l'Étoile. Pas possible pour lui, il fait les Templiers ce week-end. La contre proposition ne se fait pas attendre, il suggère que je vienne faire la Chartreuse Backyard le 5 novembre, il doit rester quelques places me dit-il.           Je ne connais pas cette course, après tout je ne les connais pas toutes !                   La Chartreuse c'est dans le coin, c'est joli, je suis tout de suite hypé et m'empresse d'aller voir un peu les distances proposées par cette fameuse "Backyard".               Je tombe sur le site et déchante direct quand je m'aperçois que ce n'est pas une course...

On a une heure pour effectuer 6.7km, chaque heure un nouveau départ est donné. Celui qui ne prend pas le départ de l'heure suivante, ou qui ne finit pas dans le temps imparti est disqualifié. En gros, c'est un truc complètement fou où on court non stop jusqu'à ce que le corps ou la tête ou les deux disent stop !                           Je suis déçu, je m'attendais à une course sympa et ma réponse est directe: c'est non, trop hamster pour moi, pas d'intérêts. Moi j'aime les vrais sentiers, la nature, les paysages, j'aime quand il y a un début et une fin et pas un truc débile où on court non stop jusqu'au bout de nos force.

Je continue donc ma sortie à tête d'or, où je tourne en rond (vous voyez l'ironie un peu ?). Et ça me trotte... J'y pense... Et plus j'y pense, plus en fait je me dis que c'est peut être pas si mal ? Et puis après tout, pourquoi pas ? Plus j'y pense, plus je trouve des aspects qui pourraient être sympa, plus je me convainc. Au bout de genre 30 minutes, je passe d'un non ferme et définitif à un "bon, je vais voir si il reste des places mais bon, pas sûr".

Je rentre tranquillement, je vais sur le site voir un peu plus les détails de la course et je vérifie pour m'inscrire. Nombre de places total : 200, nombre de places vendues : 199. Je vois ça comme un appel du destin (m'en faut pas beaucoup pour me motiver à m'inscrire à une course). Elle était faite pour moi cette place. Alors je m'inscrit. On verra.

Même si je n'avais pas aimé le concept sur le coup, j'ai fini par me dire que l'ambiance pourrait être vraiment cool, que la gestion de la fatigue entre pause et course pourrait être intéressant. Ça fait aussi un moment que j'ai envie de faire une course avec Wilfried et finalement les jours passent et en fait j'ai hâte d'être !

À quelques jours du départ, j'essaie quand même de me projeter un minimum, combien de tours je veux faire, et combien de tours il est raisonnable de faire parce que j'ai la SaintéLyon le 27 novembre, ça reste l'objectif principal. Je précise qu'il n'y a aucune fausse modestie dans ce que je dis, c'est ce que je pense à l'instant T. J'imagine faire 80 kilomètres. Je me dis que c'est 12 heures de course et que c'est déjà bien. Mais j'imagine surtout ne pas faire moins de 80 kilomètres pour être précis. Les 45 kilomètres de la reco de la SaintéLyon il y a quelques semaines se sont super bien passés, alors que j'ai quand même pas trainé (3h57 de course pour faire Sainte-Catherine jusqu'à Lyon), Et donc je me dis que j'ai du souci à me faire pour le 27 novembre si j'arrive pas à minima à faire 80 kilomètres. Je me mets donc des paliers.

  • 12 circuits / 80 kilomètres, minimum.
  • 15 tours / 100 kilomètres, y'a moyen d'aller les chercher, et de devenir un mec qui a déjà couru 100 kilomètres mais j'ai aucune certitude (faut voir mon résultat aux 100 kilomètres de l'Ultra Marin...)
  • 19 tours / 127 kilomètres, voir les premières lumières du jour et connaitre la sensation de faire une nuit complète à courir. Rien que le chiffre me fait peur et me parait surréaliste. 127 kilomètres, je le réécris mais parce que je sais pas ça me parait n'importe quoi. J'y crois 0, mais voilà c'est un palier quoi.
  • 24 circuits / 160km (et au delà), lol. (sérieusement j'ai rien d'autre à dire, pour moi c'est pour les élites, je n'ai rien à foutre là dedans). Mais le 24 tours au delà du symbole des 24 heures, c'est surtout un des principes (à la con, certes) de la course, et ça explique cette distance (à la con, certes) de 6.7 kilomètres. 6.7 kilomètres, c'est surtout - comme les meilleures idées viennent des US (ironie) - 4.167 miles. Et 4.167 miles, 24 fois, ça donne la mythique distance des 100 miles. C'était ça la fameuse idée du grand Lazarus Lake, concepteur de la mythique Barkley Marathons: courir 100 miles en 24h, et plus si affinités. Donc en soit faire 24h c'est dans une certaine mesure "terminer" la course. J'insiste sur les guillemets. Mais pour ce qui est de mes paliers, c'est de la fantaisie, je ne viens pas pour ça.
  • Bonus: battre Wilfried qui est clairement meilleur que moi. Il a fait 15 tours en 2019, donc j'imagine que ça va être difficile d'y aller. Mais voilà, se mettre des petits objectifs, vouloir battre les gens sans rentrer dans l'adversité ça permet d'entretenir la motivation, continuer d'avoir l'envie d'avoir envie comme dirait Johnny !

Je regarde aussi les résultats de certaines autres "Backyards" pour analyser les temps de passage des meilleurs, voir un peu la stratégie pour aller loin. Sans regarder je m'étais dit que faire des tours aux alentours de 42 minutes ça serait pas mal. 18 minutes de repos ça semble bien. Bon en regardant rapidement je suis arrivé à une conclusion que c'était plus 48 minutes qu'il fallait viser. Puis après la course même je me suis rendu compte que ça devrait être même plus 52/53 minutes mais bon. J'essaierai de suivre 48 minutes.

Je pense y aller en voiture. Wilfried me propose de covoiturer mais ça ne me parait pas être une bonne idée, si moi j'arrête au 12ème, lui veut aller taper les 24 tours. Ça risque de faire long. C'est dommage mais bon, tant pis je prendrai ma voiture.

Je prépare mes affaires, j'essaie de prendre le maximum qui pourrait me paraitre utile.

  • 2 frontales
  • un legging
  • des gants
  • une veste pour courir la nuit (finalement je la porterai non stop)
  • une 2ème tenue complète pour courir au cas où
  • un matelas / sac de couchage / oreiller
  • 2 autres paires de chaussures
  • des affaires de rechange pour la fin de course (si je finis à minuit je veux être confort pour dormir sur place)
  • des flacons d'eau et un gobelet en plastique (celui que j'ai perdu et retrouvé à la 6000D)
  • un chargeur externe pour recharger la montre et la frontale
  • un tabouret (faute de mieux, le mieux est de prendre siège le plus confortable qu'on a)
  • des barres de céréales / gels
  • du gros saucisson et du comté + une baguette
  • des pâtes en plats préparés et des couverts

Pour moi, j'imagine que ça suffira, j'ai surement pris trop, mais je vais m'apercevoir que je suis loin d'être le mec excessif par rapport aux autres.

Le jour de la course

Réveil 7h30, comme à mon habitude, un Feed, lait d'avoine cette fois, les affaires sont prêtes allons-y. Je pars pour arriver vers 11h, la récupération des dossards est à partir de 10h, ça me laisse le temps de prendre un peu mes repères et de m'installer.

J'arrive, le parking est blindé, ça commence bien. Je me gare maxi loin du départ sur un trottoir à l'arrache comme beaucoup de monde ce jour là. C'est chiant il faut transporter tout mon bordel jusqu'au gymnase où a lieu le départ des boucles (en réalité c'est plus des aller/retours que des boucles). J'arrive sur place, le gymnase bien au chaud est blindé. Wilfried m'envoie un message : "On est dans la tente dehors". Une tente paddock, pas une tente ultra stylée fermée et tout comme notre voisin. Bon, bah au moins on va vivre le truc à fond quoi dehors à se geler le cul. J'arrive et pose mes affaires. Je suis accueilli par Wilfried et 2 de ses collègues de l'équipe Terre de Running Craponne, Bruno et Romain. L'accueil est top, il y a plein à manger sur la table, des crêpes, du miel, des noix, des jus...

Le setup aux petits oignons

Les profils des deux autres coureurs de chez Terre de Running sont assez différents :

Bruno : 52 ans, 52 Marathons, il a fait les plus grands, Paris, Berlin, New-York... il est là pour changer des Marathons et faire pour la première fois plus de 100 kilomètres.

Romain : Il est pas là pour rigoler c'est un habitué des ultra trails. La dernière fois en 2019 il a fait 25 tours, aujourd'hui il est là pour gagner, tout simplement.

Avec Wilfried, qui lui veut faire les 24 tours, je sens qu'ici on est pas là pour enfiler des perles, donc bon tant mieux, j'aurai de quoi m'inspirer. Je fais office d'outsider assumé même si en soit il n'y a pas de compétition entre nous. C'est juste cool de pouvoir se dire qu'il y aura un effet de groupe qui me sera favorable, des 4 sous la tente étant probablement le 1er qui abandonnera j'aurai les autres pour me pousser à aller le plus loin possible donc nickel .

1er palier | 12 tours / 80 kilomètres

La course va bientôt commencer, pas de pression de toute façon on va y aller tranquille, ce n'est que le premier tour ça devrait bien se passer.

Wilfried et moi, fin du 1er tour, tranquille j'ai déjà le tucs en main

Le 1er tour s'est comme prévu très bien passé. Beaucoup de monde au début, ça créer des bouchons dans les passages un peu étroits. D'habitude c'est chiant, ça fait perdre du temps. Ici le temps tu l'a, alors en fait c'est cool les bouchons. De toute façon il faut marcher alors toutes les occasions sont bonnes pour marcher. Je fais mon premier aller / retour avec Wilfried et on a de l'avance donc on prend le temps de beaucoup marcher au retour. Mais vraiment beaucoup plus que je ne l'imaginais et on termine parfaitement dans les temps à 48/49 minutes. Ce sera un des rares tours que je ferai entièrement avec Wilfried. Il ne supporte pas de marcher, il ne supporte pas d'aller doucement, son truc c'est les trails de 50/60 kilomètres qui permettent de garder un gros rythme sans exploser. Là sur la Backyard c'est différent, on a pas le choix que d'aller doucement pour durer, mais bon l'essentiel ça reste de se faire plaisir. Il s'est fait plaisir au maximum, il a le record du tour le plus rapide : 29 minutes.

Les tours s'enchainent, ils vont se ressembler et je vais rentrer dans une certaine routine. Au début, j'y allais un peu random, je marchais un peu à l'aller de temps en temps mais c'était surtout de la course, par contre le retour, je prenais vraiment un bon moment pour marcher. Ensuite je me suis inspiré de Romain, et j'ai pris son rythme à peu près: courir tout l'aller, ensuite courir sur le retour jusqu'à une fameuse flaque d'eau (on prend les repères qu'on peut sur le chemin), marcher pendant 10 minutes jusqu'à un fameux rocher, et finir par 10 minutes de course jusqu'à l'arrivée. Je vais continuer sur ce schéma jusqu'au bout grosso modo.

Dès les premiers tours, je m'aperçois vite que je ne suis pas entouré de rigolos. Je vois plein de gens avec des vestes UT4M, Ultra Trail des Montagnes du Jura, UTMB, etc... J'ai discuté avec un coureur qui est arrivé 2ème à l'Ultra Marin. Il y a même d'autres profils de gens encore plus fous, qui font des trails de plus de 300 kilomètres, d'autres qui n'aiment pas trop les courses et font plutôt des sorties de 200 bornes en solo. C'est encore une autre approche. Beaucoup sont venus avec de l'assistance, des masseurs, ils arrivent sur la ligne, direct il y a quelqu'un qui leur a fait à manger etc..., ils ont juste à se poser, le reste l'assistance s'en charge. D'autres en plus de tout ça, sont venus avec des lits, et même mieux, un maxi chauffage avec une énorme bouteille de gaz à l'intérieur. Certains sont vraiment pas là pour niaiser avec le confort.

C'est humain je suis inconsciemment obligé de me faire ma petite introspection, me situer par rapport à tout ces gens. Faisons le point :                                               Je viens solo (j'ai quand même les coureurs de Terre de Running qui m'accueillent), je n'ai aucune assistance, j'ai un tabouret éclaté à 5 balles, et un sac carrefour où il y a toutes mes merdes. Mon maximum que j'ai couru dans ma vie c'est la SaintéLyon en solo où j'ai fait 74 kilomètres (et j'étais pas bien à la fin). J'ai toujours l'espoir dans les courses de faire un bon classement, j'essaie toujours de me donner autant que je peux, arriver à la meilleure place que je peux. Mais ça c'est pour les courses dont j'ai l'habitude, entre 20 et 40 kilomètres. Au delà j'y arrive pas encore. Au vu de la course, et des profils des gens inscrits, cette fois je n'ai absolument aucun espoir d'aller chercher un classement, et en fait je m'en fous, je suis pleinement conscient de ça. Et quand bien même je serais entouré de gens "normaux" et pas des "fous furieux" comme c'est le cas, j'avais de toute façon pas l'intention de chercher un classement, j'y vais à l'arrache à cette Backyard. J'y vais surtout pour l'ambiance, pour rigoler et parce que je suis vraiment curieux de voir comment mon corps va réagir à ce genre de course.

Pendant ces premiers tours j'essaie d'adopter une technique de course que j'ai un peu sorti de mon chapeau, je cours presque en marchant, en ayant une foulée qui rase le sol. Le but étant de limiter au maximum les impacts sur les genoux. Je ne sais pas si ça va être efficace, mais une chose est sûr, j'ai l'air d'un con. Non, plus précisément j'ai l'air de courir comme un vieux, mais comme je ne suis pas vieux j'ai l'air d'un con. D'ailleurs Romain le remarque assez vite, et me clash allègrement en me demandant ce que je fous. Je tente l'explication, ça a l'air de moyennement convaincre. Bon à voir. Pour être très honnête, dans ma tête je dis que ce serait drôle que je fasse mieux que lui avec ma technique nulle.

Bref la nuit arrive doucement, on allume les frontales et je finis par trouver mon rythme avec Bruno avec qui je discute beaucoup. Je pars toujours en avance tout seul, et il finit par me rattraper et c'est con mais ça me fait toujours plaisir de le voir arriver derrière "Oh Guillaume t'es là !" et ça suffit pour lancer la discussion. On parle d'un peu tout, surtout de course faut dire avec l'expérience de dingue qu'il a, des histoires il en a à la pelle et franchement c'est top de l'écouter pour passer le temps. Romain encore un peu plus derrière finit aussi souvent par nous rattraper et c'est pas rare qu'on finisse la course tous les trois en même temps.

La tombée de la nuit est signal que les soupes chaudes vont arriver dans le ravitaillement. Étant dehors, ça fait plaisir, il y a une énorme marmite et un des organisateurs qui touille. Nous on arrive avec notre cup pour prendre notre dose. On dirait Panoramix qui prépare la potion magique pour nous les Gaulois afin d'avoir la force d'attaquer la nuit. Parce que l'arrivée de la soupe, ça signifie aussi l'arrivée du froid, et plus on s'approche de ce premier palier des 12 heures / 80 kilomètres, plus ça caille.

Depuis toutes ces heures où je discute avec Bruno, il me fait comprendre qu'il n'est pas question que je m'arrête aux 80 kilomètres, parce que lui a l'intention de faire 100 kilomètres et donc je vais les faire avec lui , il n'y a pas de discussion à avoir. Ça me fait rire cette motivation qu'on se donne les uns et les autres sur la Backyard, cette façon que les gens ont de te dire "non tu ne t'arrêteras pas" et ça marche ! C'est super motivant ça créer une émulation, c'est vrai que je me suis laissé embarquer là dedans et plus je m'approchais des 80 kilomètres, plus je savais que j'irai au delà, au moins aux 100 pour aller avec Bruno.

On arrive finalement au 1er palier, les 80 kilomètres, et il est temps de faire le point sur mon état physique. Je discutais avec mon pote Rémy avant la course sur comment il était probable que je gère la course et à partir de quand il allait falloir y aller au mental. On était arrivé à une estimation qu'à partir du kilomètres 60 ça allait commencer à être difficile. J'avais discuté un peu avec Romain avant le départ, il a déjà participé et sait à peu près comment ça se passe. Je me souviens l'entendre dire "ah là tout le monde fait le malin, mais les gens ne se rendent pas compte à quel point la difficulté va arriver". Et donc moi entre la discussion avec Rémy et le retour d'expérience de Romain, depuis le tour un, je fais attention à comment mon corps réagi et j'attends le moment où ça va devenir difficile.

Je finis par atteindre très tranquillement le kilomètre 80 et très honnêtement, j'attends toujours que ça devienne difficile. J'ai vraiment pas grand chose, je suis plutôt en forme. J'ai quelques douleurs par ci-par là mais vraiment rien d'affolant. Les 100, sur ça va y aller sans problème. J'explique ça sur le coup à Rémy, il me dit alors que c'est positif, que maintenant je peux viser un bon "score", que je peux essayer d'aller à 110 ou 120, mais que la vraie course, c'est la SaintéLyon et que ça ne sert à rien d'aller dans le dur pour chercher un score incroyable. C'est une bonne raison. Je mets ça dans un coin de ma tête. De toute façon je ne suis qu'au kilomètre 80, j'ai le temps d'y penser.

2ème palier | 15 circuits / 100 kilomètres

On est donc parti pour aller aux 100 kilomètres, il faut encore faire 3 tours. C'est à la fois pas grand chose mais quand même il faut aller jusqu'à 3h du mat. Mon état de forme ne va pas aller en s'améliorant forcément, et les quelques premiers désagréments arrivent. Pour commencer, le froid. Ça y est la nuit est bien là, la température est bien descendue. Pendent le trajet ça va, j'ai pas trop froid,  je suis toujours en short, j'ai ma veste de trail, un t-shirt dessous et mes gants. En revanche le vrai problème arrive à la fin d'un entre deux tours. Je me pose sur mon tabouret, et je mets mon duvet par dessus pour me mettre au chaud.

Avec mon duvet sur mon tabouret.

J'ai le duvet jusqu'au cou, j'ai les bras à l'intérieur et je suis trop bien, je n'ai qu'une envie celle de rester dedans toute la nuit. Mais les minutes passent, à 57, comme à toutes les heures 3 coups de corne de brume annoncent les 3 dernières minutes avent le départ de l'éternelle répétition. Puis à 58, 2 coups qui annoncent les 2 dernières minutes et finalement à 59 un coup, qui signifie grosso modo allez lève ton cul il est l'heure d'aller courir dans le froid. Alors j'enlève le duvet où j'ai toute ma chaleur emmagasinée et je me dirige vers la ligne de départ. À chaque fois c'est la même je suis pris de tremblement, à chaque fois je me dis mais j'ai un legging pourquoi je ne le mets pas ? Et à chaque fois j'ai la flemme. Le parcours est un aller retour sur le bord du Guiers, mais à l'aller pour coller au kilométrage il y a un tour d'un terrain de foot. J'ai l'impression que c'est plus petit qu'une piste d'athlétisme, sans être sûr mais j'imagine que ça doit faire entre 200 et 400 mètres. C'est ce tour le plus dur de tout la nuit. Ce tour du terrain, je le fais en tremblant, je suis vraiment pas bien et je regrette à chaque fois le legging, mais finalement après ce tour je finis par me réchauffer et me dire que en fait, ça va. Et comme je sais que ça va, je ne mets pas le legging, puis je regrette de nouveau et ainsi de suite toute la nuit. En vrai je vous jure c'est pas drôle.

2ème petite inquiétude, cette fois ci vraiment pas drôle, je commence à avoir des douleurs aux genoux. J'ai aussi mal aux quadriceps, mais là je sens que c'est de la fatigue musculaire, d'ailleurs, dès que je me mets à courir ça disparait. Là les genoux, ça ressemble très fortement au fameux TFL (syndrome de l'essuie-glace) dont je me méfie plus que tout ! C'est assez étrange, ça commence souvent au bout de quelques minutes après le départ d'un aller retour, et ça reste vraiment sur l'extérieur du genou gauche, parfois le droit, mais souvent le gauche. Exactement les mêmes symptômes et la douleur persiste plusieurs minutes. À ce moment là je me pose des questions, je pense sincèrement à arrêter, pour ne rien risquer, mais je continue quelques minutes et on verra. Les douleurs finissent par passer à chaque fois. Et pendant plusieurs tours ça va venir, puis partir jusqu'à ce que ça ne m'inquiète plus et que ça disparaisse totalement. Fausse alerte donc. Néanmoins C'est entre le kilomètre 80 et 100 que les petites douleurs vont commencer à me grignoter. Mais pour le moment, à part cette histoire de genou qui m'a mis le doute, rien ne me suggère d'arrêter. À chaque fois sur le départ d'un aller retour, je me pose la grande question: "est ce que là je suis dans un état qui fait qu'à la fin de ce tour je n'arriverai pas à repartir ?". Pour le moment la réponse est non.

Je prends la température du côté de chez Wilfried et Bruno, ça commence à tirer chez Wilfried, et Bruno pareil. J'essaie à mon tour de motiver Bruno pour un 16ème tour, mais faut croire que je n'ai pas ce talent de pousser les gens à aller plus loin. Il me dit qu'il verra, mais que vraisemblablement, 15 ça suffira. Wilfried en a marre, il veut quand même essayer de faire 16 pour faire mieux que la dernière fois, mais les jambes qui tirent et des douleurs au pied le contraignent à ne pas vouloir aller plus loin que ça. Les aller/retours en 40 minutes ont surement eu un impact là dedans j'imagine.

Fin du 14ème tour, on attaque le tour qui me fera passer mon 2ème pallier.             À ce stade, Bruno a confirmé qu'il s'arrêtera à ce tour et Wilfried en a tellement ras le cul qu'il a hâte de terminer pour aller se glisser dans le plaid dans le gymnase. J'essaie timidement de les inciter à au moins faire 16, mais, encore une fois je dois pas avoir le talent pour, ça ne leur fera pas changer d'avis. Bref, il est 3h du matin, ça fait 15h que je cours et 100 kilomètres, il reste 66 personnes sur les 186 de départ. J'ai atteint un nouveau palier.

3ème palier | 19 tours / 127 kilomètres, fin de la nuit.

3h du matin, j'attaque le 16ème tour et je passe un palier qui me paraissait impossible à atteindre. Enfin, si possible, mais pas dans cet état là. J'ai atteint une sorte de constance pour ce qui est de la douleur, j'ai de temps en temps des petites douleurs au genou encore, des petites douleurs aux quadriceps, mais peu d'évolution par rapport au tour précédent, et ça finit par passer au bout de quelques minutes sur un nouveau tour. Je me demande vraiment quand ça va vraiment devenir très difficile et je commence à me poser la question : mais jusqu'où je vais en fait ? Je relativise aussi, il est 3h du matin, les premières lueurs sont dans 4h, c'est un palier qui est plus long que de 80 à 100, il y a un tour de plus, alors qui sait comment je me sentirais d'ici là. Je vais aussi vraiment passer une phase dans la course, les copains Bruno avec qui le temps passait très vite quand on courrait ensemble et Wilfried sont partis dormir. Il reste Romain dans le groupe mais nous n'avons pas exactement le même rythme. Il va être temps de me faire des nouveaux amis.

Au fil des tours, je finis par rencontrer Lucas, on discute pas mal. On parle de nos parcours, de nos entrainements et même plus que ça. Il m'explique qu'il s'entraîne en faisant plus de 150 kilomètres par semaine, qu'il est le plus jeune finisher de l'histoire de la Swiss Peaks, un petit trail de 360 ​​​​​​​​​​​​kilomètres et j'en passe. Un niqué. Le plus drôle c'est que quand je lui raconte un peu ce que moi je fais, qu'il m'arrive de faire des semi Marathons, et que le dernier que j'ai fait c'était en 1h24, il est sincèrement sur le cul: "QUOI ? Mais c'est super rapide, je suis impressionné, c'est incroyable". Le gars il fait des trails de 360 kilomètres​​​​​​​​​​​​​ et il est impressionné par un semi en 1h24. On est pas dans le même monde mais ça permet un peu de voir le point de vue de chacun, c'est enrichissant. Sur les tours, il est souvent devant moi et je finis par le rattraper. Je lui fais par de ma stratégie qui consiste à marcher 10 minutes, puis finir avec 10 minutes de course, ça lui correspond bien, et on se met à faire pas mal de tours ensemble. Il me dit qu'il va plus ou moins être seul jusqu'aux 24h ensuite de la famille va le rejoindre et que j'ai intérêt à faire au moins jusqu'à 24h avec lui. Je le calme tout de suite, c'est pas spécialement au programme, mais je vais faire ce que je peux. Dans ma tête, pour être franc, plus on avance, plus je me dis : "et si c'était possible ?".

17/18ème tour, la nuit commence à être longue, j'ai limite du mal à me dire qu'au début de la course on voyait bien la route, les arbres et les alentours, je raconte ça comme si c'était dingue, en fait il faisait juste jour quoi. J'ai toujours aussi froid, j'ai même l'impression que je mets de plus en plus de temps à me réchauffer c'est vraiment horrible ces départs. Au ravitaillement je parle un peu avec les organisateurs, et ils tentent de m'encourager en me disant que là, bientôt le jour va se lever, que ça va faire du bien qu'on verra la course d'un autre œil, il y aura de nouvelles couleurs etc... C'est con mais quand on court depuis si longtemps dans le noir, le moindre changement fait du bien.

Je fais toujours attention de voir où en est Romain, et je remarque que je le croise sur le retour de plus en plus tard. Jusqu'au moment où lorsqu'on se croise il m'arrête: "Guillaume, s'il te plais quand tu arrives, demande à mon assistance de me ramener le strap sur la ligne d'arrivée, j'ai le genou qui bloque". J'ai peur pour lui quand on en est à demander ça c'est que c'est critique. Je finis mon tour, j'arrive vers 45 . Je préviens son assistance, il devrait arriver vers 49/50, et il se met donc à guetter sur la ligne, prêt à intervenir. Je vais ensuite faire ma vie en gardant un œil  sur ligne. Je le vois arriver vers 57 dans le dur. Il se pose sur un banc, on lui met un strap au genou. Je ne connais que trop bien ce genre de situation. Ça n'engage que moi mais le strap au genou c'est la mesure du dernier recours, on espère que ça fasse passer la douleur de façon complètement magique. La réalité c'est que ça ne sert à rien la grande majorité du temps. Je me mets à la place de Romain, arriver dans le mal à 57, juste le temps de faire un strap et devoir repartir aussi sec. Rude. Contre toute attente il repart, ça me parait très compliqué. Je vois dans ses yeux un peu de colère. Franchement, j'aurais été dans le même état. Le départ est donné, le 19ème coup de tintouin qui retenti, comme toujours lors d'un nouveau départ. Ce putain de bruit qui aura sonné 3 fois il y a 3 minutes, puis 2 fois, puis 1 fois, puis encore une fois pour le départ. Allez, au moins à la fin de ce tour, on devrait commencer à y voir plus clair. Au moins à la fin de ce tour j'aurai atteint un nouveau palier, un pallier qui me paraissait vraiment improbable.

Je m'élance, pour ce dernier tour de nuit, comme d'habitude je croise Romain sur le retour. Je tente de lui demander si ça va. La réponse est assez claire : "NON." Je ne cherche pas à en savoir plus. Je termine mon tour à mon rythme habituel, et comme prévu, les premières lueurs du jour apparaissent. Ce sera mon dernier tour avec la frontale. Comme d'habitude à chaque fin de tour, je me dirige vers le ravitaillement pour manger, boire et discuter surtout. J'en ai un peu marre de bouffer des chips, des tucs et du chocolat. Les organisateurs au ravito me proposent ce que j'oublis à chaque fois : des pâtes avec des diots. J'accepte immédiatement ! Je me retrouve avec une assiette de pâtes mal cuites, enfin plutôt du beurre avec des pâtes dedans (l'assiette en carton était limite translucide à la fin) et des diots qui font la gueule. Franchement, le meilleur repas de ma vie. Tout ce que j'aime. J'ai dévoré ça en deux secondes. Je suis prêt à attaquer le jour.

Farfalles + beurre + diots = le rêve

4ème palier | 24 tours, 160 kilomètres.

Je m'élance pour le 20ème tour. Je ne vois pas Romain sur la ligne de départ. Il fait encore légèrement nuit mais le jour se lève à une vitesse incroyable. Il faisait encore bien sombre quand je suis arrivé à 45, 15 minutes plus tard au départ on commence à voir correctement, j'oublis ma frontale carrément. Je me demande pendant 1 secondes si c'est grave, mais non tant pis. Et finalement, un tour du stade plus tard, il fera presque complètement jour.

Très peu de temps après le tour de stade, je finis par croiser Romain qui revient en marchant. Il me fait une accolade et m'encourage : "Allez Guillaume, le plus longtemps  possible !". Ça m'encourage à fond, je repars. Je ne reverrai plus Romain.

Je continue et c'est vrai que le jour fait du bien, j'ai le ventre plein aussi et ça fait plaisir. J'essaie de faire le point sur les douleurs et sur ce qu'il me reste pour le prochain palier. Là plus que jamais j'y crois. Mais d'un autre côté, il n'est que 7h et atteindre le prochain palier complètement fou des 24h va encore demander 5 tours. 5 tours c'est méga long, c'est à la fois proche quand je me dis "j'attaque le 20ème, il faut aller à 24". Ça parait tout proche hein ? Ensuite je me dis qu'il est 7h, il faut aller à midi, il faut faire 5 heures, il faut faire 33 kilomètres, une bonne grosse rando quand même. C'est plus long que le palier précédent qui était déjà plus long que celui d'avant... Au niveau des jambes, on y est, il aura fallu 130 bornes quand même, mais on y est. Ça commence à bien tirer, et ça devient difficile. Après c'est toujours la même question, c'est très difficile au départ, mais une fois lancé, je me pose toujours la même question encore et encore: "est ce que à la fin de ce tour, je serais tellement mort que je ne pourrai pas m'élancer au prochain départ". Et comme toujours, la réponse à ma propre question est toujours la même : j'imagine que non.

Maintenant, je suis vraiment seul. Au départ il y avait la tente, on était 4 dedans, il y avait plein de matériel, à manger, etc... Romain étant parti, et les autres ayant migrés dans le gymnase, il reste mes affaires, mon tabouret et mon sac carrefour par terre, dans l'herbe à l'arrache. Tout le monde est à l'intérieur il ne reste que mon "camp" qui est encore dehors. Du coup à chaque tour, je me dis que je vais rapatrier mes affaires à l'intérieur, mais à chaque fois j'ai vraiment la flemme de perdre du temps à faire les aller retours pour déposer mes affaires, je suis juste bien à mon nouveau camp qu'est le ravitaillement où j'y retrouve une chaise où je peux m'assoir face à la table et taper à tous les râteliers en même temps sans bouger mon cul. Maintenant mes potes sont ceux avec qui je discute entre les tours, les organisateurs, les gens aux ravitaillement etc...

En course sur le tour 21/22 avec l'ami Lucas

Les tours défilent, j'arrive à la fin du 21ème tour et je vois Bruno à la ligne d'arrivée qui est réveillé, il est choqué: "Oh bah Guillaume qu'est ce que tu fais là ! Tu devais faire 80 kilomètre c 'est incroyable !" Ça me fait super plaisir de le voir, je termine mon tour on discute un peu, c'est sympa.

J'ai prévu depuis de ce palier d'arrêter à 24 tours. Tout le monde me motive pour aller à 24 tours. Même avant vers 5h du matin, je discutais avec un des organisateurs qui m'a dit: "là, les lumières du jours vont arriver, on va passer 6h du matin, après ce palier, plus le choix il faut aller à 24h. L'ambiance va changer, la vision du parcours va changer ça va te donner un coup de boost. Et puis franchement, de toute façon passer les 6h du matin, si tu vas pas aux 24, t'es une tapette." Encore une fois, je me fais pas respecter, un destin est en jeu. Tapette or not tapette. Telle est la question. Moi perso j'ai pas envie d'être une tapette. Et je lui demande: "Et il se passe quoi après 24, si on abandonne on est une tapette ou pas ?" Il me dit: "Ah non, là c'est bon !

Le problème de se fixer non pas un palier, mais cette fois ci un objectif, c'est que comme je dis tout le temps quand j'en parle, quand on a une distance en tête, qu'on sait qu'après l'objectif c'est la fin, il se passe un truc inexplicable dans le cerveau. Quelque chose qu'on ne peut pas contrôler, en tout cas je n'y arrive pas. Il se passe que plus on s'approche de la fin, plus c'est dur, plus on a envie d'arriver plus ça nous parait long, c'est infernal. Ça va rendre la fin de la course très difficile. Alors je compte les tours. Et je me dis allez, le 22ème. C'est bien le 22ème parce que ça veut dire qu'ensuite on part sur le 23ème qui donne le départ vers la dernière tournée ! Oui je me dis des trucs nuls pour m'encourager mais ça marche à peu près.

Il ne fait effectivement plus très froid sur les départs, c'est déjà ça. Ça ne m'empêchera pas de garder mes gants et ma veste tout le long. Par contre, sur le départ, une difficulté aussi horrible que le froid est apparu pour le remplacer: les jambes raides et les douleurs. Je commence les départs un peu dans la souffrance, j'ai les jambes toutes droites et ça fait mal de relancer la machine. Mais comme le froid, il me faut un tour du terrain de foot au début pour me remettre dedans et faire passer la douleur. Mais j'ai l'impression que ce laps de temps qui me permet d'être de nouveau à peu près bien est de plus en plus long au fil des tours. Et c'est peut être également dans ma tête, j'ai de moins en moins envie aussi.

Fin du 22ème tour, j'aperçoit Wilfried sur la ligne d'arrivée qui en me voyant lance un petit "ah l'batard". Petit esprit de compétition qui me fait bien rire. Mais derrière, c'est toute son infinie gentillesse qui prend le dessus, j'ai pendant quelques tours une assistance. Dès que j'arrive il me demande ce que je veux, si j'ai besoin de quoi que ce soit, il me propose de la bouffe perso qu'il avait ramené pour l'occasion, c'est tout con, mais c'est très réconfortant ça fait plaisir d'avoir quelqu'un qui est là quand même. Il sait que je vais aller aux 24 et il me dit qu'il reste là jusqu'à ce que je termine. Alors c'est reparti.

Sur mon 23ème tour, je réfléchis. J'ai quand même pensé après avoir passé la nuit à l'option d'aller au delà des 24 tours. En réalité, je m'étais rajouté 2 petits bonus au fil du temps. L'idée va mûrir au fur et à mesurer à partir du moment où Romain s'était foutu de ma gueule (pour rigoler bien sûr !) sur ma façon de courir. J'ai peu d'expérience dans la course, certes, par contre j'ai un orgueil et je suis légèrement déterminé. l'idée est plus que mûre...Voici les bonus qui sont relativement simples:

  • 25 circuits : atteindre le record de Romain.
  • 26 tournées : battre le record de Romain. Pas mal pour une mec qui court comme un vieux.

Et sur le retour du 23 je fais le point. Je suis à peu près ok, mais j'en ai marre et c'est de plus en plus dur de faire l'aller retour. Je pense qu'il y a 90% de chance que j'arrête, 10% de chance que je continue. On verra. Au passage, j'y pense maintenant au moment d'écrire ces lignes mais j'ai quitté mon état d'esprit de "Est ce que à la fin de ce tour, je serais tellement mort que je ne pourrais pas me relever pour repartir ? " pour un état d'esprit de "Après le tour 24, c'est terminé". Et c'est dommage, c'est très négatif comme façon de penser.

On y est, j'ai terminé mon 23ème tour, je vais m'élancer sur le dernier, le 24ème. Je vais pouvoir arrêter tout ça et rentrer chez moi, prendre une douche, me poser sur le canapé et rien faire un peu. Il est 11h, l'ultime signal (pour moi en tout cas) est donné. Je pars, tout boiteux, je continue sur mon rythme. Et je ne saurais pas expliquer si c'est mon corps qui se relâche, si c'est mon cerveau qui arrête l'adrénaline parce qu'on arrive à la fin, mais sur cet ultime tour, j'ai tout qui part en couille . J'ai mal aux genoux, j'ai mal aux jambes, j'ai comme des petites alertes qui vont et qui viennent incessamment un peu de partout. J'ai mal à l'épaule, mais vraiment violemment à force de faire le balancier avec les bras. Je suis obligé de courir avec la main gauche agrippée à ma veste pour pas que ça bouge trop. On dirait une sorte d'état d'alerte, comme un bâtiment sur le point d'exploser, tout se dégrade à grande vitesse un peu partout. J'arrive à mon point de marche sur le retour du tour. Un moment de répit bienvenu. Et là, il est temps de faire le point, encore une fois. J'envoie des stories sur Instagram souvent pendant justement ces 10 minutes de marche que j'ai sur le retour pour donner des nouvelles à mes potes, ma famille sur mon état à un instant T. Et là je vais envoyer la dernière. C'est limpide pour moi, je vais arrêter à 24. Je me suis demandé comment j'allais vivre le fait de me dire, cette fois, je vais voir les autres partir et moi rester, parce que je n'avais pas l'intention de partir et de tenter un tour jusqu'à ce que je ne puisse plus le finir, mais j'en reparlerai un peu plus tard de ça, car c'est un point très important. Et bien, au moment de cette décision, je suis en "paix" avec moi même. J'arrête non pas parce que j'en ai marre (même si j'en ai marre), j'arrête parce que je suis simplement arrivé aux limites de mon corps. Repartir, c'est jouer au con, repartir c'est aller courir blessé et prendre le risque d'empirer les petits bobos, qui pour le moment ne sont que petits. Et je sens parfaitement ce que mon corps me fait comprendre. En plus de ça, je suis hyper heureux, j'ai fait 100 putains de miles, c'est incroyable à aucun moment je n'aurai imaginé être capable de faire ça. Cette distance "ultra" c'était pour moi l'objectif de 2023, que je termine contre toute attente en 2021. J'ai couru pendant 24h sans vraiment m'arrêter, sans prendre le temps de dormir ne serait-ce que 30 minutes. C'est parfait, et pour une première sur un format "Backyard", j'ai explosé tous mes objectifs, même les plus fous et pour les bonus d'égaliser, voir battre Romain, franchement rien à foutre, à charge de revanche une prochaine, où je serais plus entrainé et moins "à l'arrache".

J'arrive sur la ligne d'arrivée, à 46/47 les mains sur les cuisses. J'en peux plus. Ou du moins inconsciemment j'ai envie de montrer que j'en peux plus, je fais signe de la main que c'est terminé pour moi, les gens sur la ligne m'applaudissent, me disent bravo. Je suis super content, ça y est cette course folle est terminée. Je me dirige à mon habitude dans le ravitaillement en face de la ligne d'arrivée dans le gymnase. Je me pose sur ma chaise, comme d'habitude, hop un petit tuc, hop une petite chips. J'ai le temps de profiter du répit. Je pense à la bonne douche que je vais prendre en rentrant, même si la route pour rentrer va être longue c'est pas grave. J'appelle Haruthai, je lui dit que j'ai terminé mes 24 tours, que je vais rentrer. Je serai la dans l'après midi.

Vous pensiez que c'était terminé ? Vraiment ? Moi oui en tout cas.

J'entame la discussion avec les gens du ravitaillement. Et là, je me rends compte que j'ai face à moi les gens les plus chiants (dans le très bon sens du terme) et à la fois les plus adorables que j'ai jamais vu sur une course: Mickaël et Fiona. J'étais pas au courant mais j'étais parti pour un harcèlement moral constant où peu importe ce que je disais, la réponse était: "retourne sur la ligne de départ".

"Mais comment ça tu arrêtes ?", "Mais c'est honteux, limite irrespectueux pour ceux qui sont vraiment au bout, regarde t'as 13 minutes d'avance !", "Non, allez t'y retourne là t'es pas à bout je le vois très bien." Et j'en passe. Au début j'essaie de leur expliquer: "Non mais c'est bon, mon corps me fait comprendre que je suis au bout, c'est pas raisonnable de repartir, en plus mon épaule me fait ultra souffrir. Je vais me blesser ça sert à rien de continuer. Et j'ai la SaintéLyon en plus fin du mois !". Ils n'ont rien voulu savoir j'ai continuer à me défendre tant que j'ai pu, jusqu'à ce qu'ils sortent l'argument ultime: "Bon, allez, si t'y vas, on fait l'aller retour avec toi." J'ai regardé Wilfried qui attendait que je rassemble mes affaires pour qu'on se casse de cet enfer ensemble. J'ai regardé Mickaël et Fiona. "Donc vous la faites avec moi hein ? En entier ?", ils me répondent que oui. Je dis, allez ok. Wilfried qui se met à rigoler et me dit "t'es sérieux là ?". Je le remercie pour la course et toute l'aide qu'il m'a apporté du début à la fin, et le laisse rentrer chez lui. Moi, je repars sur la ligne de départ. Je sais pas pourquoi j'ai accepté, voir des gens aussi sympa et prêt à carrément m'accompagner pour que j'y aille c'est juste touchant, je ne pouvais plus leur dire non. J'y vais, cette fois c'est la dernière. C'est parti pour le 25ème tour.

Mes gardes du corps qui m'accompagnent

On discute de tout et n'importe quoi, de ce qu'on fait dans la vie, bien sûr aussi. Mickaël est un malade, qui a commencé directement par l'Ultra Trail, il vient juste de faire la diagonale des fous, et il se fout de ma gueule quand je lui explique que moi j'y vais progressivement chaque année. Pour lui il ne faut pas se limiter comme ça, juste faire ce qu'on aime. Fiona, elle, court aussi, mais moins, elle aide souvent "Mick" sur les course, fait un peu d'assistance, et actuellement se prépare à la SaintéLyon où je serais aussi. Bref en discutant, le temps passe vite, On termine le 25ème tour, c'était génial, franchement merci à eux, c'était top, on a bien rigolé, ça s'est super bien passé l'aller retour. Maintenant j'arrête, direction la maison...Je me fais "agresser" pareil qu'au tour d'avant ! Les deux là n'arrêtent jamais ! Et je balance les mêmes arguments, et ils réfutent de la même façon. Rien ne change. Jusqu'à l'argument ultime. Fiona qui me sort : "Bon moi de toute façon, j'avais prévu de faire 2 tours, je m'entraine pour la SaintéLyon donc dans tous les cas j'y vais, allez, on la fait ensemble." BON. D'ACCORD. C'est reparti. Cette fois ci, c'est juste elle, Mickaël est parti préparer la choucroute... Et je lui dit en partant, cette fois c'est la dernière hein, je me fais plus avoir là ça suffit. Et donc c'est reparti pour le 26ème tour.

Fin du 26ime tour. C'est bon, je suis content, plus que tout ce que j'imaginais a été réalisé, je suis allé au delà de mes paliers, j'ai tout explosé, j'ai même battu Romain, franchement j'ai plus rien à accomplir aujourd'hui. Je vais pouvoir rentrer à la maison. (vous la sentez venir l'embrouille ?). J'arrive au ravitaillement. Je me fais ENCORE engrainer, j'ai plus la force de lutter, c'est non, c'est tout j'ai terminé j'ai plus aucun objectif. Je subis la pression, mais non cette fois je ne serai pas faible, j'arrête. j'entends la corne de brume qui annonce 3 minutes avant le départ. Je suis toujours au ravitaillement et Mickaël me fait: "Tu vas y retourner. Tu veux y retourner. Et tu sais comment je le sais ? T'as toujours ton bracelet, tu l'as toujours autour du pied et t'es toujours là" (le bracelet c'est le truc qu'on accroche autour de la cheville qui permet de valider un tour quand on arrive au bout de l'aller retour, il y a une plaque où on marche et ça valide qu'on est bien allé au bout). Je rigole quand j'entends ça, jusqu'à ce qu'un des organisateurs m'interpelle. Regarde, il n'y plus que 10 personnes. Là tu fais encore un tour tu fais top 10, tu peux pas arrêter à la porte du top 10. Fiona qui me regarde: "allez je le fais avec toi". Mais ça n'en finira jamais.....

Cette fois ci j'ai la rage au ventre, je suis bouillant. Je ne sais pas ce qui se passe dans mon corps si c'est l'adrénaline ou quoi, je vous jure, je n'ai plus mal nulle part. Dès le départ, je pars plus rapidement que je ne l'ai jamais fait. je suis à moins de 5 minutes au kilomètre et franchement, tout va bien. Les tours d'avant j'étais presque à 7 minutes au kilomètre, là je pars plus vite que je fais mes entrainements à Lyon. Je sais pas si c'est le baroud d'honneur ou quoi, mais c'est de l'auto destruction d'aller si vite. Mais de toute façon, cette fois je le sais, et je vais pas faire durer le suspens plus longtemps: c'est mon dernier tour. Je garde le rythme à peu près tout le long même si je vais ralentir un peu, je ne prends pas ma pause marche et j'arrive sur la ligne d'arrivée en 37:59. Dès la ligne franchie, le premier truc que je fais c'est retirer mon bracelet électronique pour cette fois ci, montrer que j'arrête vraiment. Il y a Mickaël qui arrive sur la ligne en rigolant, je le prend dans mes bras et le remercie, il me félicite et m'applaudis comme tout le monde autour de la ligne d'arrivée. Je suis heureux. Je me dirige quand même au ravitaillement, j'ai bien envie de pâtes et de diots. Mickaël est de retour derrière le ravitaillement pour me donner des pâtes, il me félicite encore et me lâche une petite phrase. Et Mickaël si tu lis ces lignes, crois moi que c'est encré en moi et je ne l'oublierai pas. Il me regarde droit dans les yeux et me dit: "on sait tous les deux que tu peux repartir, mais félicitations".

Finish après 27 tours, médaille "DNF - Did Not Finish"

L'épilogue de cette aventure incroyable, c'est que la descente est à la hauteur de ce que j'ai donné pour ce dernier tour. M'étant bien posé j'ai eu le temps de bien refroidir aussi. Je suis tétanisé. Chaque pas est souffrance, je marche à une vitesse ridiculement faible, je n'ai jamais été dans un tel état, je me demande si je vais pouvoir conduire. La voiture est à 300 mètres, j'ai du mettre plus de 15 minutes pour y aller. Je pense que je paie clairement le fait d'avoir précipité le dernier aller retour. J'ai pris la voiture pour rentrer c'était un enfer, j'ai eu besoin de deux siestes sur la route de 1h et 40 minutes pour être en état de vraiment rentrer sereinement. Mais quel plaisir d'arriver, la voiture c'était presque deux tours de plus en terme de difficulté.

Conclusion

Je voudrais conclure en revenant sur plusieurs points qui me semblent importants. Je vais revenir sur moi et mes choix, ainsi que la course au sens large. Ensuite, chers lecteurs si vous êtes arrivé jusqu'à là, vous serez libre, comme moi je l'ai été après le 27ème tour.

L'abandon, le mental et faire face à l'envie d'arrêter.

Alors oui, j'ai fait 181 kilomètres. Oui je suis bien entendu fier de moi, oui c'est complètement fou ce qui est passé et c'est loin, très loin de toutes les espérances que j'avais sur cette course. Cependant, il y a quand même des choses à propos de moi que je n'ai pas aimé. Je pense que j'étais dans un très bon état d'esprit avant d'arriver à l'espoir de faire 24 tours. Je pense que ça a été une erreur monumentale de se dire "j'arrête à 24 tours." Ce n'est pas l'esprit de la course. Ce n'est pas comme ça qu'il faut voir les choses. Je repense à ce que m'a dit Mickaël, qu'on sait tous les deux à la fin du 27ème tour que je peux repartir. La vérité ? Bien sûr que je peux repartir. Bien sûr que je vais à 30 tours. Bien sûr que je fais un podium ou voir je gagne. Liess a gagné avec 38 tours, sans dire que c'était facile, c'est pas non plus un chiffre qui me parait démentiel à atteindre. Là où je m'en veux, en c'est d'avoir décidé d'arrêter. Si j'émets l'hypothèse que j'aurai pu faire un podium, voir gagner, c'est pas par condescendance, mais justement parce que avoir décidé d'arrêter, c'est laisser le mystère sur quel aurait été le nombre de tour maximum qu'il est possible de faire, et c'est ça qui est regrettable au final: ne pas savoir. Les seuls vrais héros sont simplement ceux qui ont été éliminés parce qu'ils n'ont pas réussi à finir leur tour, peu importe le nombre de tours. Ceux là sont aller au bout de leurs forces et c'est ça qui compte finalement dans ce type de course. Ne pas finir sa boucle devrait être la seule et unique raison d' arrêter. Quand tout le monde me disait, une fois arrivé au ravitaillement, que vu le temps que je mettais, j'étais obligé de repartir. Dans le fond ils avaient 100% raison. Il faut le mental pour ça, c'est une énorme part de ce qui fait un bon coureur, surtout dans l'ultra. Et ça me servira, comme d'habitude, de leçon pour la prochaine fois. Il n'y aura pas de goût d'inachevé.

Il me faudra donc pour la Chartreuse Backyard 2022 un mental d'acier, ne jamais abandonner. En fait, il faut viser la disqualification, et se dire que l'abandon n'est pas une option. J'irai au bout.

Ce que j'ai pensé de la course

Je partais au départ dubitatif, puis curieux. Comment la gérer, comment mon corps allait réagir. Je repars avec que du positif. J'ai vraiment adoré le concept aussi débile soit-il. Je pensais en arrivant, trouver le temps très long, avoir un goût de "jour sans fin" à force de recommencer encore et encore la boucle. Mais pas du tout, vraiment je suis très étonné de voir comment finalement 27 heures ça passe vite. Pareil sur le fait passer une nuit à courir en fait, c'est pas le bout du monde, juste le bout de la nuit. C'est très étonnant, je ne pensais pas que ça se passerait comme ça. J'ai vraiment aimé ce concept de pouvoir s'arrêter à chaque tour, de gérer la nourriture, l'hydratation à base de gros coca bien chimique. J'ai bien aimé ce mix entre randonnée et course, où on a le temps de prendre le temps, de marcher, de discuter de tout et de rien pendant des heures. De passer du temps à penser aussi, j'ai eu le temps de beaucoup penser, j'ai aussi beaucoup couru en solo, mais c'est pas pour autant que je me suis ennuyé, bien au contraire. Donc si certains hésitent à y aller, et bien n'hésitez pas c'est vraiment sympathique et pas du tout ce qu'on imagine.

remerciements

Encore une fois, merci à tous. Tous ceux qui m'ont envoyé des messages pendant la course, ceux qui ont réagi à mes stories, ceux qui m'ont fait des blagues non stop, ça m'a bien encouragé. J'étais limité pressé à chaque fin de tour de voir vos réactions et vos messages, c'était vraiment top.

Merci encore une fois bien évidemment à l'organisation et spécialement à Mickaël et Fiona, vous avez été géniaux et c'est peu dire. Je vous dois beaucoup et je vous dois notamment cette 9ième place. Sans vous, clairement je ne la fais pas. J'ai hâte de vous retrouver bientôt, et très certainement sur la SaintéLyon à la fin du mois.

J'ai hâte de revenir, je pense déjà à l'année prochaine où je serais bien évidemment là, pas tout seul cette fois !

Merci de m'avoir lu, c'était long à lire j'imagine, c'était encore plus long à écrire. Cette fois-ci, réellement, la prochaine c'est la SaintéLyon. Rendez-vous fin novembre !