J’étais pas prêt. Vraiment pas.
74 kilomètres Terminé en 9:39:11
Cette année pour cause de COVID-19, la SaintéLyon, comme la majorité des autres courses a été annulé. Sauf que les organisateurs ont trouvé la parade ultime aux grands rassemblements: la faire en solo, et en autonomie complète. Radical mais efficace. Du coup on nous proposait une application avec le tracé, qui donnait des indications et des anecdotes tout le long du parcours. De base c'était prévu que ça se fasse de nuit, mais le couvre feu s'éternisant, ça s'est fait de jour. J'ai donc fait ma première SaintéLyon de jour, sous le soleil. Pas très banal pour une SaintéLyon il parait.
Début de la journée
Ça commence avec un levé à 6h du mat, totalement imprévu précipité par une annonce d’un couvre feu dans le Rhône littéralement du jour pour le lendemain. Pas le choix, ce sera vendredi. On se lève, un Feed, une banane et en avant Guingamp direction la Hale Tony Garnier pour garer la voiture, puis la gare Perrache pour prendre une TER direction Saint Étienne.
Il y a quand même un truc dingue qui se passe avec le corp quand on va attaquer une course. Comme si il y avait un signal qui dit « attends là, il va se passer un truc fou, faut tout lâcher » sauf que ça n’arrive jamais quand on est à la maison, ça arrive sur la ligne de départ en général avec des queues de interminables devant les toilettes installées spécialement pour l’évènement. C’est jamais génial. Là moi ça m’arrive à la gare. Il est hors de question que je fasse la plus grosse course que j’ai jamais faite avec un mal de bide. J’me vois pas non plus me lâcher dans les rues de Saint Étienne, y’a un moment y’a un respect quand même. Pas le choix faut aller aux toilettes de la gare. C’est ici qu’on voit quand même à quel point l’humain peut être vraiment une merde envers l’humain. J’arrive aux toilettes. 70 centimes pour accéder aux toilettes. J’ai 0 pièce, je demande si je peux payer par carte, c’est non. Si je peux quand même y accéder j’ai une grosse course qui arrive. Ah non désolé, vous avez pas 70 centimes en pièces vous n’accédez pas aux toilettes. Franchement j’aurai dû chier sur son bureau. Bref, tant pis, mon train part dans 2 min, pas le temps de niaiser, je go. Je me rend compte en entrant dans le TER qu’il des toilettes dans le train. Grosse libération, je vais pouvoir commencer la course sereinement.
Petite appréhension quand même dans le train où je vois le paysage défiler à grande vitesse, et malgré tout, ça met vraiment du temps pour arriver. J’me dis mais qu’est ce que je suis en train de faire, je vais vraiment devoir revenir à pied là ? J’ai plein de doutes, depuis le début j’ai plein de doutes mais là ça m’en rajoute encore. Ma plus grosse course en terme de distance c’est le marathon de Lyon (42 kilomètres) sur du plat tranquille. Et depuis je suis le champion de la blessure, genou, tendon d’Achille etc… J’ai vraiment du mal à croire que je puisse faire autant de kilomètres sans me blesser, ou sans même avoir ne serait-ce que des crampes au 30ème kilomètre qui m’empêchent simplement d’aller plus loin. Bon de toute façon il est trop tard pour faire demi tour, on verra bien.
Départ de la course
J’arrive à Saint Étienne, je marche jusqu’au départ, je me prépare, je mets l’application en route, l’enlève ma veste. Go.
Avant même de commencer la course, je ne le savais pas mais j’avait déjà commis pas mal d’erreurs qui allaient rendre cette aventure un peu infernale. Retour sur la préparation de mon matériel.
C’est mon premier trail long. Je n’ai aucune expérience là dedans. En plus de ça c’est un trail en autonomie complète vu qu’il n’y a aucun ravitaillement sur le chemin. En plus de ça, il faut avoir le téléphone toujours chargé pour être suivi par l’application qui va enregistrer le temps et valider qu’on a bien terminé la course. Moi avec ma logique implacable je me dis ok, il me faut à manger, et beaucoup d’eau et de quoi charger mon téléphone. Résultat des courses:
- Mon sac de trail
- 2.5l d’eau
- Ma veste
- Mon téléphone
- Une grosse batterie externe (genre au moins 500g, c’est le truc que j’emmène sur le GR20)
- Des câbles, écouteurs etc…
- Mon bordel (mes clés de voiture, carte…)
- 6 barres de céréales
Alors là avec le recul c’est déjà n’importe quoi. Il y a 2 points d’eau sur le parcours, un à Sainte Catherine (kilomètre 30), un à Soucieu-en-Jarrest (kilomètre 54). Le truc c’est qu’un trail long, c’est pas un semi où on rush du début à la fin. L’idée c’est de ne jamais être haut en cardio pour tenir le coup tout le long. Du coup on est jamais vraiment assoiffé. Donc avoir autant d’eau, tout ce que ça a fait c’est me mettre un mal de dos infernal au kilomètre 30 qui ne m’a pas pas lâché. J’en reparle plus tard. Donc 2.5 litres d’eau c’est TROP.
Ensuite les 6 barres de céréales. Le mec débile quoi. Moi j’me sui dit ok tranquille, 1 barre tous les 10 kilomètres, ça ira. Je vais pas tergiverser. Non, ça n’ira pas.
Bref je pars avec un sac qui doit faire plus de 3kg, mauvaise idée.
Retour au départ à Saint Étienne. C’est parti je me lance, je modère ma vitesse et me force à garder un rythme très tranquille, c’est que le début. Les 10 premiers kilomètres se passent plutôt tranquillement, on sort de la ville, on commence à voir un peu la campagne ça fait plaisir. Au début c’est beaucoup de route au milieu des voitures etc… Bref ça fait du bien d’arriver dans la campagne. État des lieux au kilomètre 10, tout va bien, pas mal au tendon d’Achille, en réalité mal nulle part donc bon très bien on continue.
À partir du kilomètre 20, doucement le corp commence un peu à te faire sentir que ça le laisse pas trop indifférent, rien de grave mais on commence à sentir des petits signes de fatigue.
Kilomètre 30, j’arrive à Sainte Catherine, je passe la panneau du départ de la SaintExpress. Juste avant le speaker de la SaintéLyon que j’ai dans les oreilles et qui raconte des petites anecdotes sur le parcours dit qu’on arrive à Sainte Catherine donc, que c’est une étape assez déterminante de la SaintéLyon, pas mal d’abandons ici. Et il me sort la phrase « à Sainte Catherine, tout se dessine, ou tout se termine… ». Là ça me met le petite doute. Qu’est ce qui se dessine pour moi ? J’ai fait 30 kilomètres, il en reste 44, c’est plus qu’un marathon + tout le dénivelé restant, c’est TRÈS loin d’être fini. Cependant, même si j’accuse le coup, je suis pas à bout non plus. Je prend une petite pause de 5min, je remplis mon camelbag, mes flask (bim retour avec un sac de plus de 3kg). Je repars mais par contre y’a un petit truc qui commence à m’emmerder là. J’ai MAL au dos. Et ça commence à être infernal en fait. Le fait d’avoir rempli mon sac de trail me relance la douleur encore plus fort. Je pensais que mes jambes seraient ce qui ferait que ce serait difficile, mais en fait c’est mon dos. À partir de là, jusqu’à Soucieu-en-Jarrest, très honnêtement, c’était pas du plaisir, c’était l’enfer. La moindre montée, je marche. Surtout que après Sainte Catherine, c’est BEAUCOUP de montées jusqu’au point culminant du parcours. J’ai trop mal au dos et je n’arrive plus à relancer. Je prend des pauses dans l’herbe souvent pour m’étirer le dos parce que j’en peux plus. Chaque kilomètre c’est une victoire mais il en reste juste beaucoup trop. Surtout que les kilomètres sont de plus en plus long. C’est le bordel dans mon cerveau parce que y’a une sorte juste milieu à trouver entre deux pensées qui s’opposent: « Je dois aller plus vite parce que sinon je vais jamais finir cette course » et « je dois ralentir, parce que mon dos c’est un peu insupportable là », c’est surement ça le mental, ton cerveau qui te dit non, et aller à l’encontre de ce que dis ton cerveau en continuant à courir.
3/4 kilomètres avant d’arriver à Soucieu-en-Jarrest, je vois quelqu’un qui court au loin avec son chien. Je le rattrape, et il m’encourage. Je me dis pour qu’il m’encourage, il doit aussi être dans la galère, alors je lance la discussion, et lui demande si il était sur un parcours de la SaintéLyon. Il me dit qu’il est sur le parcours de la SaintExpress (de Sainte Catherine, 20 kilomètre en amont) et comme ça, je me mets à son rythme et on discute un peu de notre ressenti. Moi c’est ma première lui il en a déjà fait plusieurs et finalement trouver quelqu’un qui partage un peu la galère avec toi, c’est plutôt cool ! On s’est motivé et on s’est pas arrêté de courir jusqu’à Soucieu-en-Jarrest et c’est passé relativement vite ! Et ça, ça fait partie finalement des difficultés insoupçonnées de cette SaintéLyon en solo, full autonomie que j’ai découvert à la dur. Courir, pendant des heures dans la solitude. C’est con mais ça rend le truc mentalement difficile, personne ne partage cette galère c’est toi vs toi face à la difficulté et à la longueur du parcours. Et ça pèse vraiment, on a l’impression que ça n’en finit pas. Il faut vraiment trouver la motivation et personne ne peux aider à ça.
J’arrive enfin à Soucieu-en-Jarrest, hélas mon compagnon de route décide d’arrêter là, il va rentrer chez lui, tranquille, au chaud. Je fais l’état des lieux: J’ai très mal au dos (je l’ai déjà dis je crois non ?), même si les jambes c’est pas le pire, ça pique on va pas se mentir, le temps commence à se gâter, il reste 20 kilomètres, 500 mètres de dénivelé avant l’arrivée. Franchement, c’est beaucoup. Le dilemme fatidique arrive: j’arrête ? Ou je continue. Je fais le point. J’ai déjà fait beaucoup, plus que je n’ai jamais fait. J’ai fait le plus dur aussi ! Est ce que c’est utile vraiment de continuer dans la souffrance, de risquer la blessure ? J’ai rien à prouver à personne et je fais ça pour moi par pour les autres. À quoi bon continuer. Honnêtement, j’ai demandé à un ami qu’il vienne me chercher, mais il était pas dispo. J’avais une option de revenir en moto derrière en passager, mais les jambes pliées je me suis dit que j’allais me taper des crampes de l’espace que et j’allais juste tomber de la moto, c’était trop dangereux. Bon j’ai plus trop d’alternatives. Enfin si il m’en reste une que des potes ont trouvés pour moi. Ils me disent y’a le bus 114 qui est à 10 minutes de marche, départ dans 12 min, et il me dépose à Oullins (juste à côté de chez moi, et du métro surtout). Je réfléchi 2 minutes, et puis merde, tant pis, je prends la direction du bus. Et là comme un gosse à qui on a enlevé son jouet préféré je me mets à pleurer de rage à moitié, genre putain mais tout ça pour ça quoi merde, je pète un câble, je fais demi tour et je prend reprend le chemin de la SaintéLyon.
Il me reste 20 kilomètres. C’est le départ de la SaintéSprint que j’ai fait il y a 2 semaines. D’un côté je me dis il reste « QUE » 20 kilomètres, et d’un autre j’arrête pas de me dire que quand j’ai fait la SaintéSprint, je me suis bien donné et j’ai fait un temps qui au moment où j’écris ces lignes correspond au 2ieme meilleur temps sur une cinquantaine de participants. Donc c’est plutôt un bon temps. Ce temps c’est 1h29. Donc j’arrête pas de me dire, ok si c’était la pleine forme, il me reste 1h29 à courir. Sauf que je pense qu’on a plutôt compris que c’est pas la pleine forme actuellement. Je me dis que j’en ai pour minimum 2h30 encore. Mentalement c’est difficile, et c’est vraiment au mental et à l’orgueil que je décide de reprendre le parcours. J’ai fait une pause de facile 15min, j’ai vidé mon camelbag pour réduire le poids sur le dos et remplis mes flasks au robinet du cimetière… C’est assez bizarre au cimetière de Soucieu-en-Jarrest, y’a des gens endeuillés et des trailers qui viennent se ravitailler en eau… bref je reprends la route. Et comme si ça ne suffisait pas, un nouveau problème arrive. Je disais plus haut que 6 barres de céréales ça ne suffisait pas. Bon j’en fait les frais actuellement. J’ai éclaté mes barres depuis un moment et je commence à être en hypoglycémie, parce que en tant que bon débutant, j’ai pas du tout pris assez de sucre sur moi et je commence à être épuisé en fait. C’est une sensation vraiment étrange que je n’avais jamais ressenti avant, mais j’avais qu’une envie c’était de manger du sucre, mon corp réclamait des gâteaux mais genre urgemment, du coup je me suis dis que sur la route j’allais essayer de trouver un petit magasin, d’acheter un paquet de gâteaux, les défoncer en 2 secondes et repartir. Mais bien sûr on est à la campagne, y’a quedal. En plus de ça, à peine reparti, je me tape la douche. Il se met à pleuvoir à grosse gouttes. J’essaie de voir le côté positif:
- je vis la SaintéLyon (du moins en partie) comme elle est sensée être vécue, c’est à dire sous la pluie.
- j’enfile ma veste, ce qui réduit encore le poids sur mon dos.
Et donc j’avance du mieux que je peux jusqu’à Chaponost, l’ultime ravitaillement de l’épreuve (quand il y a des ravitaillements…). Je me retrouve donc au départ de la SaintéTic que j’ai fait il y a maintenant 3 semaines.
Il reste 11km et je fais une pause, je m’étire, relâche le dos, ça commence à devenir un mouvement obligatoire tous les 7/8km pour me soulager. Il pleut toujours à fond et je vois un groupe de personnes en short, ils me voient m’étirer, ça se voit que suis pas au top. Je leur demande si ils vont faire la SaintéTic. Ils me réponde par l’affirmative et une des personnes du groupe me dit que en fait, ils sont les organisateurs de la SAINTELYON Page Officielle ! Ils me demande si je vais bien, je lui explique que je suis pas au top. Il me répond: t’inquiète pas, on va s’occuper de toi. J’ai pas de mots pour qualifier à quel point ils ont été cool. C’était tellement inattendu, une personne s’est carrément occupé de moi, m’a ravitaillé en BARRES pleines de SUCRES, il m’a donné 3 barres, 1 gel, de la Saint-Yorre, il m’a offert de rentrer à l’abris dans la voiture pour me reposer. Ils m’ont vraiment sortie de la mouise à ce moment là. Ce ravitaillement inattendu m’a tellement revigoré ! La le reste du groupe était parti un peu plus loin sur le parcours de la SaintéTic et la personne qui était restée avec moi m’a accompagnée en trottinant à coté, encore une fois, trop sympa. Et pour finir en beauté, après avoir rejoint le reste de son groupe, je m’aperçois qu’ils sont en fait là pour un shooting et ils sont en présence de Thomas Lorblanchet, premier champion du monde de trail (2009) et recordman du nombre de victoire sur le Grand Trail des Templiers avec qui j’ai peu échanger. J’arrive comme un mongol devant lui « alllezzz champion du moooonde de traiiil ! » gros malaise mais on a rigolé quand même. Cette petite interlude au milieu du parcours m’a vraiment fait plaisir et m’a bien requinqué. Si jamais l’équipe de la SaintéLyon lit ça jusqu’ici, déjà bravo. Et surtout MERCI à vous franchement je vous en dois une.
Le reste du parcours même sous la pluie s’est plutôt bien passé finalement, pas de surprise j’avais déjà fait le parcours 2 fois dans le mois. C’était pas simple, mais c’était ok. Je m’attendais à la montée des aqueducs, je savais aussi que c’était la dernière vrai difficulté. Le reste du parcours est une formalité, après la petite montée après le parc aventure, c’est de la descente, puis la Mulatière (putain qu’est ce que j’aime cette ville en fait) ou on voit le quartier de la confluence d’en haut et je me dis non sans émotion ENFIN. Le sucre a eu le temps de faire effet pour les 2/3 derniers kilomètres, je me sens relativement bien, je descend les escaliers sans aucune crampe en courant (je comprends pas comment c’est possible). Je passe le panneau Lyon devant le Musée des Confluences, ça y est je l’ai fait. J’étais à Saint Etienne, je suis officiellement à Lyon. S’en suit le pont Raymond Barre jusqu’à la Halle Tony Garnier, l’arrivée.
Clairement c’est une expérience de fou. Sans être déçu de mon temps et sans même chercher à faire un temps, je pensais le faire plus vite quand même. En fait pour ma première sur du trail long, je m’attendais à avoir des crampes, mal au tendon d’Achille, mal à mon genou. Au final rien de tout ça, les difficultés ont été le surplus de poids sur le dos, le manque de sucre… Bref ça me permettra d’en tirer des leçons pour la prochaine histoire qu’il y ai plus de plaisir que de souffrance.
Bref, tout ça pour dire que j’étais pas prêt quoi.